Le point de rupture en voyage
C’est arrivé un peu sans crier gare, lors d’un jour qui s’annonçait pourtant parfait, que j’ai fait cette drôle d’expérience. Ce jour étrange où tout change, et où l’on se rend compte que le voyage prendra désormais une autre signification. Où l’on comprend que ce n’est plus possible, que l’on doit laisser pour de bon derrière soi le voyage en mode « checklist », tout simplement parce que cela ne correspond plus à nos attentes.
Laissez-moi vous raconter comment ça s’est passé pour moi…
Nous venions tout juste de quitter Christchurch et roulions vers le Sud. C’était au tout début de notre road-trip, l’impatience et la bonne humeur étaient palpables. Notre prochain arrêt : les Moeraki Boulders, cette plage avec ces énigmatiques roches sphériques, au sud d’Oamaru. Le programme était prometteur et j’attendais de découvrir avec impatience ces merveilles de la nature, d’autant que les curiosités géologiques m’ont toujours particulièrement attirées. Les amis avec qui nous étions nous en avaient parlé car ils y avaient déjà été, revenants avec des photos à couper le souffle. J’étais loin de me douter à quel point j’allais être déçue…
Une fois arrivée sur place, le parking était rempli, difficile de se faire une place au soleil… De plus, il y avait un nombre inquiétant de cars touristiques garés ça et là, libérant leurs flots de visiteurs vers la plage. Nous entamâmes donc la marche de dix minutes pour nous rendre sur le site. A nos côtés, des dizaines d’autres personnes, marchant avec le même objectif que nous. Et ce fut bien tel que je le craignais déjà, en arrivant sur le parking. Les gens étaient partout, dans tous les recoins, limite à faire la queue pour prendre leur photo avec les Moeraki boulders…
Je prenais donc conscience du caractère un peu pathétique de la situation. J’avais déjà visité des lieux très touristiques, et bien que la foule aseptise toujours un peu le plaisir de les découvrir, je trouvais quand même que ça valait le coup. Jusqu’à ce jour…
Je n’ai donc pris aucun plaisir à visiter ce lieu pourtant magique, qui en d’autres circonstances m’aurait comblée. Je n’ai presque pris aucune photo, quand bien même j’adore cela. J’avais juste envie de prendre la fuite, de quitter les lieux au plus vite.
Pourtant j’étais comme tout ces gens, une simple touriste, et j’étais venue pour les mêmes raisons. C’est vrai que le moment de l’année et l’heure étaient très mal choisis si l’on souhaitait profiter de l’endroit au calme (début du mois de janvier, 14h de l’après-midi…). Je n’avais aucune raison d’en vouloir à ces autres visiteurs, pour la plupart des Asiatiques, qui avaient très certainement un emploi du temps à respecter lors de leur voyage en Nouvelle-Zélande. C’était comme ça, un point c’est tout. Mais ce jour là, je l’avoue, ça m’a exaspéré.
Oui cette situation était pathétique, mais j’en faisais partie, au même titre que les autres. Je n’avais aucune légitimité à espérer que ce lieu soit vide rien que pour moi. Ce n’était pas ma propriété privée. A quoi m'attendais-je, après tout, à partir à la découverte d’un lieu populaire en plein milieu de la saison touristique ?
Ce jour là, je décidai d’enterrer ma naïveté pour de bon. Non, le monde n’est pas une succession de cartes postales, et les lieux touristiques sont, pour la plupart, loin de ressembler aux photos de rêves que l’on nous vend. Voyager, ce ne doit pas être une succession de croix à cocher sur une liste, autrement on risque d’être toujours un peu déçu. Bien sûr, il y aura toujours des endroits que l’on rêve de voir depuis des années, parce qu’untel nous a parlé, parce qu’on l’a vu en photo, et ce serait dommage de passer à côté si on en a l’occasion. Les pyramides d’Egypte ou le Taj Mahal par exemple, sont des lieux grandioses, mais ils se méritent. Et il faudra faire quelques compromis une fois sur place lorsque des centaines d’autres personnes afflueront en même temps que nous. Pourtant, je continue de penser que ces visites valent le coup, si bien sur, on désire réellement y aller et qu’on est capable de faire abstraction des autres personnes. Mais à partir de maintenant, visiter ces endroits n’est plus le but ultime pour ma part.
Great Walks, Great Crowd, Great Price
La Nouvelle-Zélande devient de plus en plus populaire, et comme chaque pays touristique, de nouveaux lieux « incontournables » apparaissent, où davantage de touristes se concentrent.
Parmi ces incontournables, il y a les Great Walks. Pour ceux qui ne connaissent pas, les Great Walks, ce sont neuf randonnées de plusieurs jours, particulièrement populaires pour l’exceptionnelle beauté de leurs paysages. Faire les Great Walks en Nouvelle-Zélande, cela devient un peu une sorte de marathon parmi les backpackers qui ont soif d’aventure et de paysages grandioses. Ca à l’air génial. Oui, mais…
Qui dit popularité dit foule. Enfin, ce n’est pas la foule d’un festival bien sûr, mais sur une Great Walk, il faut parfois s’attendre à faire la queue-leu-leu sur certains passages, attendre son tour pour prendre sa photo. Il suffit de voir le nombre de personnes au départ du Tongariro Crossing pour le comprendre.
De plus, en raison de leur popularité, le prix de la nuit en hut (refuge) sur les Great Walks augmente de manière dramatique en pleine saison touristique. Pour vous donner une idée, une nuit en hut sur la célèbre Milford Track (reconnue comme étant l’une des plus belles rando du monde) au mois de janvier, c’est plus de 50$ la nuit (multiplié par le nombre de nuits sur la rando, ça coute vite un œil !). Alors qu’une hut « normale » ne coutera jamais plus de 15$ la nuit…
Mais le pire n’est pas là… il existe une liste d’attente de plusieurs mois pour les réserver ! Oui, de plusieurs mois ! Et sans réservation, n’espérez surtout pas pouvoir vous pointer à l’arrache la bouche en cœur pour faire la Milford Track. En été, ces réservations sont scrupuleusement contrôlées par les gardiens, et le bivouac sauvage sévèrement sanctionné. Vous êtes venu profiter de la nature sauvage vous avez dit ? Vous pouvez repasser !
Je ne nie pas l’intérêt et la beauté de ces randonnées, mais les faire dans ces conditions, pour moi c’est passer à côté des avantages et des plaisirs qu’offre justement la randonnée. Etre au calme et se perdre dans la nature, utiliser la force de ses mollets plutôt que de payer un transport jusqu’à tel point de vue… Pour moi la randonnée doit aussi rester un plaisir peu onéreux. Alors devoir réserver ma rando des mois en avance et payer un prix exorbitant pour me retrouver au milieu de centaines d’autres personnes, non merci !
Alors j’avoue, j’ai quand même fait le Tongariro Alpine Crossing, qui traverse en partie la Great Walk associée, et j’ai vraiment adoré. Mais dommage, c’est loin d’être paisible, car ça grouille de monde toute la journée. Enfin, cela rejoint ce que je disais plus haut, parfois il faut apprendre à faire des compromis lorsqu’on pense que ça vaut le coup.
Partir à la découverte de lieux inconnus… et se découvrir soi même
Cherchant à rester à l’écart de ces endroits un peu trop victimes de leur succès, j’ai découvert d’autres lieux magiques. J’ai fais d’autres randonnées, moins courues, mais toutes aussi magnifiques. Voici la preuve en image :
Ces randonnées là ne sont pas des Great Walks, mais pourraient l’être au même titre que les autres. La différence c’est qu’elles sont encore relativement préservées des foules. Et je suis loin d’avoir tout vu ! Il existe des centaines de randonnées magnifiques en Nouvelle-Zélande. Si j’avais davantage de temps libre, je sais où je foncerais. Mais le temps est compté et comme toujours dans la vie, il faut faire des choix. Ce qui me console, c’est qu’on n’a pas forcément besoin de partir très loin pour trouver un petit coin de paradis, à l’écart des autres touristes.
Cet endroit se trouve à 30 minutes du centre de Wellington, et non, vous ne le trouverez pas dans le Lonely Planet
Autre exemple :
Ce spot se trouve dans les Marlborough Sounds, et il n’est indiqué nul part. Pas dans les guides, pas sur la carte, pas sur la route. Et pourtant il existe un petit espace où garer sa voiture, puis un petit escalier pour descendre sur cette plage magnifique et abandonnée. Il faut connaître cet endroit pour le trouver, ou avoir suffisamment de curiosité pour descendre de sa voiture et aller voir soi-même.
Ce ne sont que quelques exemples, mais au final, ces découvertes font parti de mes meilleurs souvenirs de la Nouvelle-Zélande à ce jour.
C’est ainsi que je conçois le voyage à présent. Je préfère prendre le temps de découvrir un lieu plutôt que dix autres « incontournables » au pas de course, si le premier me plait vraiment. Je préfère me perdre dans les endroits où peu de personnes vont, juste parce qu’en regardant la carte je me dis « Tiens, ça doit être sympa par là ». Je ne tiens plus à visiter à tout prix tel endroit, juste parce que selon des centaines de personnes, il le faut absolument. Je laisse derrière moi cette pratique, et me plonge dans une nouvelle philosophie du voyage.
Ce que je dis dans cet article, je le dis sans prétention. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon de voyager, chacun le fait à la manière qui lui convient. Je ne juge pas les autres touristes, parfois ils n’ont pas le temps, alors ils préfèrent en voir le plus possible, ça se comprend et ça se justifie parfaitement. J’ai juste découvert que cette méthode ne me convenait plus, et je n’impose à personne de penser comme moi. Ce n’est pas toujours facile de trouver son équilibre en voyage. Parfois on rêve tellement de faire un voyage qu’une fois sur place, on est un peu déçu, car ce n’est pas aussi bien que ce qu’on avait imaginé en passant des semaines à le préparer. Le rêve du voyage est quelque fois plus délicieux que le voyage lui même… Trouver cette équilibre, sa propre façon de concevoir le voyage, demande du temps. Parce que voyager, c’est aussi apprendre à se connaître.
Traitant du même sujet, mais sur un ton beaucoup plus direct, j'ai beaucoup aimé cet article de Toothbrush Nomads